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Trimardeur

24 juin 2009

Bonne conscience

Je change d’horizon.

Je tourne quelque part, au premier carrefour, pour aller vers un ailleurs qui m’est totalement nécessaire en cet instant précis.

Inutile de me demander pourquoi. Je n’ai pas envie de parler. Ca m’a pris d’un coup. C’est comme ça.

C’était juste après l’arrêt du bus. J’ai vu de loin les deux gamins qui attendaient. J’aurai pu les prendre, mais je me suis dit que le bus n’allait pas tarder.

Lâche ! Egoïste !

C’est vrai. J’aurai pu continuer tout droit sans y penser d’avantage.

On subsiste grâce à la capacité d’effacer en quelques fractions de seconde une image qui est venue sans qu’on la désire.

Mais ils s’accrochent, les deux morveux.

J’ai essayé de penser à autre chose pour me changer la vision. A un type que je n’aime pas du tout. Je le croisse sans arrêt partout où je vais lorsque je suis en ville. Je n’aime pas ce qu’il fait. Ni ce qu’il écrit.

Est-ce qu’il aurait fait monter les gamins, lui ? Je ne crois pas. Il aurait pris une photo pour montrer à ses amis la misère que l’on voit sur ces routes perdues.

Pas efficace non plus. Maintenant j’ai deux mauvaises images en tête : Les deux enfants et l’autre crétin qui m’énerve rien que de penser à lui.

Non, je ne peux pas faire demi-tour. C’est dangereux sur cette route, les gens roulent très vite. Et le bus a dû arriver à son arrêt. C’est l’heure.

Autant continuer et ne plus en penser.

Je vais ralentir un peu, pour apercevoir le bus. Question de minutes.

Les gamins doivent être bien au chaud dans le bus. L’autre idiot à effacer de ma tête.

Voilà le bus ; je l’aperçois dans le rétroviseur.

Je vais m’arrêter sur le bord pour le laisser passer et m’assurer que les petits sont dedans. Sinon, j’irai les chercher.

Il arrive. Il ne roule pas vite.

Il me double.

M…. !

Je ne veux pas me laisser aller à des grossièretés.

A l’arrière du bus, le crétin en question est assis entre les deux gamins. Je ne sais pas ce qu’il leur raconte, mais ils rient de bon cœur.

Bien fait pour moi.

J’aurais dû continuer ma route sans me poser des questions absurdes.

Ca m’apprendra à avoir mauvaise conscience. Au prochain arrêt de bus, je regarderai de l’autre coté. C’est plus simple.

 

©Jorcas

 

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19 juin 2009

Le songe d’une ombre

 

La bâtisse de l’hôtel se trouvait à l’orée du village, sur un petit promontoire qui dominait la vallée et qui permettait une belle vue sur l’ensemble.

J’avais pas mal trainé dans la vieille ville, fort jolie et bien entretenue et beaucoup rodé autour du campanile de l’église la plus ancienne, où j’avais découvert une plaque commémorative de l’octroi du privilège de Ville par la couronne d’Aragon. J’avais perdu de vue que cette région avait fait partie des possessions qui avaient étendu un temps le royaume d’Aragon vers le sud de la France et l’Italie.

 

J’ai été tenté de diner sur place, mais après avoir tant marché, c’était plus sage de manger à l’hôtel. Trop fatigué pour avoir encore à trainer après le repas.

Le restaurant de l’hôtel était d’ailleurs bon, avec une salle s’abritant derrière une large baie vitrée qui permettait de prolonger la vue sur la ville, en particulier sur le campanile au flanc duquel j’avais découvert l’inscription aragonaise.

Repas léger, malgré les spécialités locales et un petit vin qui trompait son monde, avec une apparence innocente tout à fait mensongère ! J’allais certainement bien dormir cette nuit !

 

La chambre donnait aussi sur la vallée et sur le campanile. Il y avait un point de repère en ville et tout était fait pour qu’on ne l’oublie pas.

Un grand lit pour moi tout seul, des rideaux tirés pour ne pas être tenté de contempler le campanile sous la lumière de la lune, enfin le repos !

 

La première sensation a été curieuse. J’avais l’impression d’être rentré chez moi et je sentais que ma femme avait du mal à dormir et tournait sans cesse dans le lit. J’ai étiré mon bras pour lui caresser la tête et la calmer dans son mauvais sommeil et j’ai trouvé le deuxième oreiller, mais aucun corps.

Je me suis réveillé pour de bon, allumé la lumière pour constater l’évidence : J’étais seul, dans mon petit hôtel du sud de l’Auvergne et il n’y avait personne dans ma chambre. Il faisait sombre dehors, nuit sans bruit. C’était peut être un rêve, conséquence du petit vin traitre.

J’ai éteint la lumière et plongé à nouveau dans un sommeil qui m’était d’autant plus nécessaire que la coupure était idiote.

 

Le sommier ne crissait pas, mais le matelas bougeait encore une fois, comme si un deuxième corps modifiait par son poids son équilibre. J’ai allumé la lampe à nouveau, brusquement, sans perdre du temps à passer ma main sur le reste du lit que je savais vide : rien. Bien entendu, rien !

Je me suis levé, fait le tour de la chambre, ouvert l’armoire, regardé sous le lit, ouvert et fermé les rideaux tout en me disant que j’étais stupide et qu’à l’évidence il n’y avait personne dans ma chambre. Pas de chat égaré non plus. Ce n’était que ma tête qui me jouait des tours, tarabustée par mon estomac, certainement. Le diner était peut être moins digeste que je ne l’avais cru avec mon enthousiasme pour goûter des spécialités du pays.

 

J’ai éteint rageusement. J’ai parfaitement perçu, derrière mon dos, comme un soupir. J’ai cru aussi entendre qu’une voix faible mais intelligible disait : Enfin !

Je me suis retourné lentement et, sans allumer la lumière, j’ai tendu brusquement mes deux bras et enserré….le vide !

Et cette fois la voix était claire : Ecouté ! Ça suffit, dors une bonne fois pour toutes, moi je suis fatiguée !

 

Mais qui est tu ? Que fais tu dans mon lit ? Comment se fait-il que je peux sentir ta présence, t’entendre maintenant et je ne peux pas te voir ni te toucher ?

 

Ce n’est pas bien compliqué, pourtant ! Je suis ton ombre et après la journée que tu m’as fait passer, toujours à courir de monument en monument, à tourner autour des églises sous un soleil de plomb, je suis crevée. J’ai besoin de repos, d’autant plus que je ne peux pas m’échapper dès qu’il fait jour ou dès que tu allumes une lumière. Je suis obligé de me mettre à tes pieds des que la moindre lueur s’annonce, alors, s’il te plait, dors et laisse moi récupérer !

 

Je n’ai pas osé répondre. Pour lui dire quoi ? C’était bien naturel ce besoin de calme, seulement, je ne savais pas. J’avais bien conscience d’avoir mal aux pieds si je marchais trop, d’avoir mal au dos si je restais longtemps mal assis, mais d’une part, ni mes pieds ni mon dos ne m’adressaient la parole et je prenais mon ombre pour un effet de lumière qui ne me concernait qu’indirectement. J’allais essayer de dormir un peu. La surprise passée, elle ne bougeait pas plus que n’importe quelle autre compagne. On en parlera demain.

 

Le lendemain, un court diner expédié sans longueurs, je me suis installé dans le lit après avoir tiré les rideaux et éteint les lumières et je l’ai appelé : Tu es toujours là ? Maintenant qu’aucune clarté ne te force à me suivre pouvons nous parler un peu ? J’aimerais mieux te connaître.

 

Il n’y a pas grand chose à dire de moi que tu ne saches pas. Il te suffit de regarder en toi même pour me comprendre car être ton ombre n’est rien d’autre qu’être un peu de toi un peu détaché de ton corps. Ma vie d’ombre consiste à t’amplifier face à toute lumière. Seulement avec l’âge, tes mouvements incessants me fatiguent et je me traine derrière toi lamentablement lorsque tu t’accordes une journée de visites de monuments sous le soleil. Encore, lorsque c’est un musée, la lumière est toujours tenue, je n’ai pas besoin d’être dense, mais tes églises, tes cathédrales et tes campaniles en plein soleil m’usent. Je n’ai plus vingt ans, tu devrais le savoir !

Tu as bien entendu dire de quelqu’un qu’il n’est plus l’ombre de lui-même ? C’est parce que nous vieillissons plus rapidement que vous à force d’être mis à contribution dès la moindre lueur.

Lorsque tu travailles à ton bureau, avec cette lampe à forte puissance que tu as mis derrière toi depuis que tes yeux voient moins bien, je suis toute étalée sur ta table, comme tourneboulée.

Alors, bien sûr, toi et tes sauts d’humour permanents, tu te lèves, tu changes de position, tu passes à autre chose, ce n’est pas étonnant que tu sois, comme on dit, plus rapide que ton ombre !

 

J’étais tout contrit, coupable comme je l’étais à l’évidence, sans jamais l’avoir su, d’un si mauvais traitement à ma compagne la plus ancienne. J’ai caressé doucement l’oreiller sur lequel j’ai supposé qu’elle se détendait, car dans l’obscurité totale je ne pouvais plus l’apercevoir et j’ai fait mentalement la liste des dispositions que je prendrais dès le lendemain pour lui rendre la vie plus douce.

Je n’allais pas changer mon goût pour les monuments historiques, mais je ne ferai plus de visites en plein soleil. Ou alors, en marchant seulement dans les parties ombragées, sans soleil direct.

J’allais changer toutes les lumières de la maison, en particulier dans mon bureau, où je passais le plus clair du temps, et les remplacer par des lampes au plafond, qui projetteraient la lumière sur moi et lui permettraient de se reposer sur mon corps, toute recroquevillée sur moi.

Il faudrait dorénavant que je fasse attention à ne pas l’éclipser, à la maintenir dans un doux clair-obscur pour lui adoucir sa condition qui l’obligeait à vivre à l’ombre de moi-même. Il ne fallait pas qu’elle prenne peur d’elle-même et pour l’endormir, chaque soir je lui réciterai du Baudelaire : Ombres folles, courez au bout de vos désirs !

Ah, qu’elle sera douce ainsi, accrochée à mon cou !

©Jorcas

 

16 juin 2009

Piéta

 

J’ai une foule de cailloux, de toutes les couleurs, des mate et des brillants, des arrondis et des pointus. Tous d’une taille raisonnablement petite, heureusement.

Ce n’est pas que je sois collectionneur, rien de tel. Le premier, quelqu’un de proche me l’a offert pour conjurer un reproche ancien qu’il avait à me faire.

Voilà une mauvaise blague. Dire qu’il y a une vielle histoire qui coince, sans dire laquelle et pour la décoincer vous offrez un caillou qui reste en permanence devant les yeux du récipiendaire! Un peu sadique, comme truc. On a le reproche en douceur, sans savoir pourquoi mais face à face à longueur de la journée.


Par la suite, des amis on trouvé ça drôle. On m’en a offert pour rire ; pour des reproches que d’aucuns avaient pêché dans leurs souvenirs sans importance ; pour mes anniversaires. Je me suis trouve avec le tas en question qui finit par s’étaler sur mon bureau, sur mes étagères, dans les poches, pour avoir un jouet à tourner dans les doigts. Une invasion.


Les choses ont pris une tournure plus lourde en début de semaine, lorsqu’une petite boule moirée m’a glissé des mains et m’a crié de faire attention.

Je l’ai ramassée et lui ai demandé de répéter.


Fais attention, quand tu joues avec nous. On a beau être massifs, on peut se briser et tu aurais alors bonne mine avec notre fractionnement sur la conscience en plus de l’histoire ancienne.


Parce que tu es au courant de cette histoire ancienne que j’ignore ? Mais c’est un comble. Ne me dis pas que lorsque vous vous ennuyez vous vous racontez vos états d’âme. Qui me concernent en plus !


J’ai été chercher le carton des dernières chaussures que j’ai acheté. Des marrons bien larges, affreuses d’après mon amie, mais confortables. J’ai ouvert la boite en question et j’y ai rangé toutes les pierres, dans le désordre, sans me soucier de leur point de vue ni de savoir si les grandes écrasaient les petites. Hop, dans l’étagère la plus haute, sa décongestionne mon bureau, qui ne demande pas mieux !

Et je me suis remis au travail dans cet horizon élargi avec un doux fond musical. Du Bach.


Drôle d’enregistrement. C’était bien un des Brandebourgeois mais avec quelque chose d’inhabituel, comme un cœur éloigné. J’ai éteint la radio et alors, plus de Bach, mais une plainte comme un flamenco de la Semaine Sante. Une Saeta : Ay, Ay, Ay, Ay, Ay en continu. Ca venait de mon carton à chaussures.


Vous avez fini avec vos pleurs ? Je ne peux pas travailler.


Tu crois qu’on est bien ici, nous, les uns sur les autres ? Si tu nous laisses là, nous allons te combler de malédictions. Et tu verras, avec nos cœurs pétrifiés, cela peut aller loin !

J’ai porté le carton dans mon garage et me suis remis au travail sans me laisser impressionner.

A midi j’ai éteint l’ordinateur pour aller déjeuner. Premier incident, j’avais quelque chose dans une chaussure. Une pierre ? J’ai enlevé la chaussure, puis la chaussette : rien. J’ai regardé mon pied cherchant une coupure ou quelque chose de similaire : rien.


J’ai remis ma chaussure et repris ma marche sans problèmes. Au bout de quelques pas, c’est l’autre pied qui me faisait mal.

Même opération que tout à l’heure, sans plus de succès. Même résultat lorsque je me suis remis sur mes deux fondements.

Est-ce possible que ces maudits cailloux me fassent des tours pareils ? C’est ma tête, qui me fait des blagues ? Une baisse rapide de sucre ?


Je suis arrivé jusqu’au restaurant sans nouvelles difficultés et commandé mon menu. Salade et des cailles.

J’allais appeler le serveur pour lui dire que sa salade était mal lavée lorsque j’ai compris : C’était comme pour les chaussures, mes cailloux qui m’en faisaient voir ! Le sable dans la salade, des larmes de caillou, sans doute et je suis sur que les cailles allaient être truffées de plombs de chasseurs qui n’ont jamais existé !


Je suis revenu chez moi en faisant un détour par le magasin de bricolage pour acheter quelques sacs de ciment.

Dans mon jardin, j’ai fait une belle statue, une tête de Piéta moins réussie que celle de Michel-Ange, mais décorée de tous les cailloux que j’avais dans ma boite.

Depuis, plus de Saeta ni des douleurs aux pieds. Mais le meilleur est que mes amis adorent. Maintenant, chaque fois qu’ils viennent me voir, ils passent de longs moments à caresser ma Piéta et tous me dissent que cela leur fait du bien, qu’ils se sentent légers, comme avec un poids en moins !

Et moi donc !

 

©Jorcas

 

11 juin 2009

Mercedes

 

Le petit avion se mit en ligne, face à la piste.

C’est ça, la piste ? Mais elle n’est même pas droite ! Comment tu vas faire ?

C’est embêtant si on ne le sait pas, mais une Cesna comme celle-ci, ça se pose sur un arbre, alors une piste pas trop droite, ce n’est pas un problème. Tiens toi tranquille, je vais te faire un modèle d’atterrissage en douceur !

 

N’empêche que j’étais content de descendre, une fois que nous nous sommes arrêtés à coté de la baraque mal soignée de l’aérodrome de campagne.

A cette époque de l’année, pas une goutte de pluie. La terre est brique, l’herbe marron et les animaux maigres.

C’était la raison de notre voyage : aller chercher des points d’eau qui n’étant pas encore secs, voyaient défiler tous les animaux sauvages du coin, surtout à la tombée de la nuit.

Je voulais des photos pour une revue qui depuis quelque temps publiait mes folies biscornues, en échange de petits reportages gnangnan et des photos des paysages et animaux du Llano.

Le  baquiano qui devait nous guider, un zambo au sourire permanent, nous attendait à l’intérieur. Il voulait nous préparer à l’aventure.

 

Nous préparer, vous faites du cinéma. Depuis le temps qu’on photographie des animaux, on est habitué à poster bien placés et à cadrer les appareils à temps. On sait qu’on a peu de temps pour les prendre avant que la nuit tombe.

 

Je ne vous parle pas de votre métier, mais de ce qu’on va rencontrer. Si vous voulez faire de bonnes photos, il faut que vous ne soyez pas surpris, ou alors, vous raterez les meilleures.

Je vais vous conduire à un point d’eau que résiste toute la période sèche, jusqu’aux pluies suivantes.

Pas loin d’ici, il y a quelques années, une femme du pays était partie se baigner dans la rivière. Nue et belle, elle ne faisait attention à rien, même au paysan qui, caché derrière les hautes herbes la regardait se baigner. C’est lui qui nous a raconté après comment le grand Caïman l’a surprise. Elle est partie avec lui au fond de la rivière et on ne l’a plus jamais vue.

 

Maintenant, à la saison sèche, la rivière s’efface peu à peu et il ne reste que cette mare, qui tous les après-midi donne à boire aux animaux de la forêt. Lorsque la nuit s’approche, un bruit, comme une chanson, sort du centre de la mare pour prévenir les animaux que le grand Caïman va faire sa promenade et pourrait avaler tous ceux qu’il rencontrera sur son chemin. Alors, les animaux s’en vont et sur les bords, se promène  seul  un Caïman avec de longs cheveux qui trainent sur son corps et des yeux amande qui pleurent, pleurent, comme un petit enfant apeuré.

On n’a jamais su si c’est celui qui avait pris la femme pour la conduire au fond de la rivière ou leur enfant, qui a le corps de son père et les cheveux et les yeux de sa mère.

On l’a appelé de son nom à elle : Mercedes

 

(Mercedes est une chanson de l’auteur-compositeur vénézuélien Simon Diaz)


4 juin 2009

Fantômas

 

J’ai vu la porte s’entrouvrir lentement, puis s’arrêter. Qui est là ? Ce n’est pas original comme question, mais elle a le mérite d’être claire.

Pas de réponse. Pas de lettre dans la boite.  Pas de papier avec un texte formé de découpes de journaux sur le paillasson de l’entrée. Rien.

Ma jolie voisine d’en face m’avait bien parlé d’un mystérieux visiteur qui ouvrait les portes sans entrer et ne semblait pas voler quoi que ce soit. Mais jusqu’à ce jour, je n’avais pas eu droit à la chose. Ou je n’avais pas fait attention.

Je n’allais pas alerter la police pour si peu. Je crains d’ailleurs qu’ils ne me prennent pour un allumé et que au lieu de poser une main courante ils ne promettent de me poser une camisole.

 

J’ai choisi la douceur. J’ai écrit un joli texte, sur un bristol de qualité, adressé à mon « visiteur de l’ombre » en l’invitant à se manifester plus ouvertement et éventuellement à venir prendre un pastis ou un café, selon ses goûts. Une belle punaise dorée et sur le milieu de ma porte.

Toujours rien.


Mais il était revenu. Bon lecteur de polards, j’avais fixé un fil presque invisible et fragile sur la porte et sur le jambage. Le lendemain il était casé. J’ai recommencé. Casé. Et encore et encore. Je n’ai ni chien ni chat, donc, c’était lui.

 

Réunion au sommet avec la voisine. Une sorte de conseil de guerre pour ainsi dire. Et nous avons décidé de passer nos nuits alternativement à nos fenêtres. Chacun observait sa porte et celle de l’autre et si jamais il venait, hop ! La main au collet et à table !

Deux semaines. C’est le temps qu’ont duré nos forces. Franchement, passer des nuits en éveil chacun de son coté pour ça ! Et le plus dur était de constater chaque matin que lorsque fatigués nous finissions par nous endormir dans nos observatoires, il venait, entrouvrait la porte et s’en allait. Comme avant.

 

Avec ça, chaque jour moins envisageable d’aller voir les flics. Une histoire pareille et c’était la camisole d’avant plus les menottes.

On a tout tenté. Le sandwich baguette, le riz au lait en bol protégé, le cahier de notes à fleurs avec stylo fourni, l’adresse de mon psy et celui du dentiste de ma voisine, tout, quoi. Toujours sans résultat.

 

Nous avons eu une deuxième réunion au sommet, ma jolie voisine et moi. Et nous avons décidé d’une nouvelle stratégie. Les semaines paires, elle viendrait dormir chez moi et les semaines impaires j’irai dormir chez elle. Au début, on s’est fait des sandwiches pour nous. Puis du riz au lait. Puis une bouteille de champagne. Et un peu de musique, car les nuits sont longues, à surveiller la porte qui va s’ouvrir sans laisser passer le petit oiseau.

Un matin, en nous levant, nous nous sommes aperçus que la porte n’était pas ouverte et que le fil était intact. Pourtant, nous avons été longtemps éveillés. On a dansé longtemps. Et les deux bouteilles de champagne étaient vides. Mais il n’est pas venu.

Peut être qu’il a regardé par la fenêtre et a eu peur en voyant nos vêtements par terre un peu partout. Ou alors on a ri si fort, d’un rire nerveux, qu’il n’a pas osé entrer.

En tout cas, depuis, plus de Fantômas à nos portes, mais qu’est-ce qu’on s’aime, nuit après nuit, ma voisine et moi.

Parfaitement.

Finalement, c’est elle qui m’a passé la camisole, mais moi je lui ai mis les menottes.

Et ce n’est pas plus mal !


©Jorcas

 

 

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1 juin 2009

Assurance dommages

 

Comme chaque matin Louis sortit de chez lui à l’heure habituelle. Traversa la rue au deuxième passage zèbre, celui à la meilleure visibilité. C’est une précaution qu’il respectait sans la moindre entorse. Marcha de son pas régulier jusqu’à l’arrêt de bus ; il passait deux minutes après. Le bus était aussi ponctuel que lui. Cela lui permettrait d’arriver au bureau, comme d’habitude, dix minutes avant l’heure prévue par le règlement intérieur et son contrat.

Comme chaque matin, il s’installa dans son bureau, alla se servir un café à la machine du couloir et mit en route l’ordinateur pour charger les mails arrivés depuis son départ la veille au soir.

 

Jean, je n’ai pas le temps de te préparer un café, je suis en retard. A ce soir !

 

Vas-y, ma chérie, ne t’en fais pas pour moi.

Son compagnon du moment s’était vite fait à l’idée que toute notion de régularité était impossible avec elle.

Il pensait en même temps que c’était invivable et qu’il ne tarderait pas à trouver une raison pour lui faire comprendre que, malgré son amour pour elle, il retournait dans sa ville, retrouver son petit studio et son calme. Elle s’y ferait rapidement. D’ailleurs, elle l’oublierait comme elle oubliait tout, ses courses, ses clés, la rue où elle avait garé sa voiture, les anniversaires d’amis et parents.

Dolores était une fille admirable, une amante radieuse, mais elle vivait dans un monde en quelque sorte liquide, qui se construisait à chaque instant d’une manière différente. Il n’était pas capable de la suivre dans les sursauts de sa vie. Il valait mieux se séparer doucement sans attendre le clash violent qui ne manquerait pas de se produire un jour entre eux.

 

Louis termina ses huit heures de travail journalier sans souci et sans retard dans ses affaires. Son organisation et sa méthode étaient un exemple souvent cité dans l’entreprise aux nouveaux arrivants. Voilà comment il faut faire pour que le travail soit toujours exécuté au mieux et à la satisfaction des clients et de vos chefs de service !

Il n’en était pas particulièrement fier. C’était en lui une seconde nature et de ce fait, il ne voyait pas de mérite à cela. Il était ainsi, voilà tout.

A six heures précises il quittait son bureau et allait passer deux heures avec sa fiancée. Son mariage, préparé par les parents des deux futurs époux aurait lieu dans quelques mois et le temps qui restait jusqu’à cette date était bon à mettre à profit pour parler ensemble de toutes choses et se mieux connaître. Cela ne pourrait que les aider dans leur future vie de couple.

 

Dolores posa les paquets des courses sur la table de la cuisine avec les clés de la maison et de la voiture. Il faudrait qu’elle pense tout à l’heure, en rangeant tout dans le réfrigérateur, à les mettre dans son sac pour ne pas avoir à les chercher demain matin.

Elle prit le courrier que son compagnon avait posé sur le petit guéridon du couloir

La première enveloppe portait son nom : Dolores, mais n’avait pas de timbre.

Elle lut la lettre deux fois. Une première rapidement, surprise, un peu incrédule. Une deuxième calmement, s’attardant dans chaque mot, dans chaque argument.

Résumé en clair : il la larguait parce qu’il l’aimait mais elle était insupportable. Elle ne sentait rien de particulier. Et rien de nouveaux. Depuis le temps qu’il lui faisait des reproches pour tout et n’importe quoi, les rapports sexuels exclus, elle s’y attendait plus ou moins. D’ailleurs elle avait eu plusieurs fois l’intention de faire une mise au point claire, mais avec le boulot, les courses, les factures, elle avait oublié chaque fois de lui en parler.

 

Au diable. Il fallait qu’elle s’occupe un peu plus d’elle. Et de l’assurance de la maison. La précédente avait été résiliée parce qu’elle avait oublié de payer même après deux relances qu’elle avait rangées quelque part. Puis elle n’a plus fait attention jusqu’à réception de l’avis de résiliation. Trop tard, il fallait aller ailleurs, ce n’est pas les compagnies d’assurances ni les courtiers qui manquaient.

A coin de sa rue il y avait un très gros. Elle irait le lendemain.

 

Louis, comme d’habitude, avait rapidement pris connaissance de ses mails en arrivant. Il préparait pour sa secrétaire quelques lettres à écrire et des instructions pour les experts de sa zone. Il lui dicterait dès qu’elle lui apporterait le courrier arrivé, avant que les clients qui venaient directement ne commencent à se manifester.

Sa secrétaire lui remit le courrier et lui annonça qu’une jeune femme, qui n’avait pas rendez-vous, voulait voir un courtier ou un responsable pour une assurance domestique.

 

Demandez-lui d’attendre quelques minutes, le temps que je vérifie si quelque chose d’urgent arrive dans le courrier et j’irai la chercher.

 

Dolores exposait la raison de sa présence à un Louis qui ne la quittait pas des yeux, qui la regardait comme on regarde une lumière forte et inattendue. Heureusement le problème était simple à résoudre.

Vérification faite, j’ai reparti ce matin le travail à faire et je n’ai personne de disponible pour établir sur place le document avec les caractéristiques de votre appartement et l’assurer de suite. Pour ne pas retarder la prise en charge par l’assurance, je peux aller avec vous, si vous le voulez, faire l’état de lieux avec lequel on peut faire partir de suite la couverture.

Dolores dit oui, elle avait simplement besoin de passer un coup de fil à son travail pour annoncer qu’elle n’irait pas aujourd’hui. Son patron était en déplacement et cela n’aurait pas de conséquences qu’elle prenne un jour de RTT.

 

Louis commença de suite à établir le document avec le détail des chambres et les caractéristiques générales de l’appartement à assurer.

Excusez-moi, lui dit Dolores, votre nœud de cravate est tordu et cela ne va pas bien avec votre tenue. Vous permettez ? Avant qu’il eu pu répondre elle lui remit en état, passant ses doigts entre le cou et le col de la chemise pour le redresser.

Voilà qui est mieux. Mais à mon avis, vous seriez encore mieux sans cravate. Vous avez un joli cou escamoté par le col. Vous ne voulez pas l’enlever ?

 

Il hésita quelques secondes puis enleva la cravate avec un air des plus sérieux. Vous aimez mieux ainsi ? Elle lui dit oui sans arrêter de rire. Il ne savait pas si elle était vraiment contente ou si elle se moquait de lui.

Dans son souvenir, il se voyait disant à Dolores qu’il l’aiderait à rédiger la lettre à envoyer en recommandée à la compagnie pour être certaine d’être assurée dès la date du cachet de la poste. Dans l’image suivante, dans une tenue fort peu professionnelle il se voyait assis sur une chaise de la cuisine, Dolores à califourchon sur lui le couvrait de baisers sur les lèvres, les yeux, le front, faisait tomber sur lui une pluie d’étoiles directement sortie d’un tableau de Klimt pendant qu’explosaient l’un après l’autre les petits cercles fermés, cohérents mais misérables de sa vie précédente, son mariage arrangé, sa fiancée, sa mère, sa vie réglée avec précision et étroitesse pour laisser la place à des cieux bleus, sans points de repères fixes mais sans limites.

 

©Jorcas

30 mai 2009

Maud

 

Des cailloux, des arbres d’un tas d’espèces dont j’oublie tout le temps le nom. Ce n’est pas possible d’être aussi tête en l’air. C’est l’énième fois que je reprends ce texte avec l’intention de l’améliorer. Mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire.

Au départ, je voulais raconter une histoire à trois personnages, deux qui ne se connaissaient pas bien mais étaient en bon chemin pour y parvenir et le troisième qui était une sorte de clochard philosophe qui leur servait en même temps de point de rencontre et de repoussoir. Rien de très nouveau.

Chaque jour je revenais un peu sur l’affaire, pour ajouter quelques phrases. Tout un chapitre les jours d’inspiration. Changer quelques mots seulement les jours sans. Mais la mayonnaise ne prenait pas à mon goût.

Lorsqu’elle m’a téléphoné j’étais dans un jour sans. Furieux de constater une fois de plus que je n’étais pas le génie que j’aurais voulu être. Que les mots ne me venaient pas si facilement que ça. Que même en travaillant des heures, le résultat n’était pas à la hauteur.

 

Oui ! Qui est à l’appareil ?

 

Pas très accueillant, l’écrivaillon, dites donc ! Bonjour quand même. C’est Maud.

 

Maud ? Quelle Maud ? Je n’en connais aucune !

 

Vous, alors, quel ronchon ! Et tout ce que vous écrivez sur moi ? Et vos élucubrations sur ma façon d’être, sur ma vie, sur mon amour possible pour votre nigaud de personnage, le Félix en question ? Vous n’y êtes toujours pas ?

 

Mais, mais….Cette Maud là est un personnage de l’histoire que je suis en train d’écrire! Qui vous a parlé de ça ? Qui a pu lire mon travail, qui n’est pas encore publié ? Qui êtes vous ?

 

Je suis Maud. Venez me chercher à la gare d’Austerlitz et je vous donnerai la réponse à toutes vos questions. Mais laissez-moi vous dire que je vous trouve bien ingrat et bien sauvage. Vous créez un personnage et ensuite vous le traitez par le mépris.
Allez, cessez de faire le rustre et venez me chercher. J’ai faim. Je vous attends à la porte des arrivées. Vous me reconnaitrez du premier coup d’œil. En fin de compte je suis votre créature !

 

J’ai posé le téléphone et je me suis servi un grand verre d’eau. D’abord parce que ça m’énerve, tous ces gens qui font boire un whisky ou équivalent à leurs personnages dès qu’ils ont une contrariété. Et j’ai horreur du whisky. Ensuite parce que j’avais besoin de me calmer et non de m’exciter. J’ai beau passer mon temps à écrire des loufoqueries, ça ne m’était jamais arrivé qu’un personnage prenne son indépendance sans que je l’aie décidé ! Et encore moins qu’il m’interpelle avec autant de désinvolture.

Le verre avalé je me suis dit que si j’étais capable d’écrire tant de choses invraisemblables sans que cela affecte ma santé mentale, du moins en apparence, je ne courrais aucun risque à faire semblant de croire que de l’invraisemblable pouvait arriver. Ça me ferai prendre l’air de faire un tour jusqu’à la gare d’Austerlitz.

 

Maud était tout à fait comme je l’avais décrite dans mon brouillon de nouvelle. 1m75, brune, avec des cheveux courts. Tête plutôt allongée, un nez pas trop long et fin, et des yeux noirs. Un menton volontaire, légèrement marqué, mais non saillant et des lèvres tout à fait nature, sans rafistolage. 

Allure sportive, un corps sans aucune exagération, pas de graisse, pas de jambes fluettes.

Cette femme là, je ne l’avais pas inventée. Je l’avais vu dans un aéroport suivant de mauvaise grâce un crétin de mari prétentieux et je m’étais servi pour décrire mon personnage.

Mais de là à la revoir à la porte des arrivées de la gare, m’attendant, me faisant un geste de la main dès qu’elle m’a vu, dès qu’elle a vu ma voiture ! J’aurais du emporter un thermos avec pas mal d’eau fraiche !

 

Bonjour encore, cher Créateur ! Je vous plais ?

 

Pour être désinvolte, elle était désinvolte. Je ne me souvenais pas de lui avoir donné un tel caractère, mais tout le monde sait que ses enfants ne sont jamais comme on pense les avoir éduqué.

 

Bonjour Maud. Enchanté de faire votre connaissance en chair et en os. Vous me faites découvrir une facette de moi-même que j’ignorais. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais c’est un événement auquel je ne peux pas me soustraire. Et pour un écrivaillon, faire connaissance à la porte d’une gare d’un de ses personnages, c’est peut être mieux que le Goncourt !

 

Je suis sûr que vous êtes en train de penser que maintenant je vais dire que je tombe du lit, que je me réveille, que je reviens au monde des gens normaux, ou que je vais directement à l’asile ! Eh bien vous vous trompez, rien de tout cela. Maud est bien là, assisse à coté de moi dans ma voiture et il n’y a pas de chute facile et idiote à cette histoire que je vous raconte.

 

Nous avons un peu parlé pendant le trajet, mais pas sur le seul sujet qui trottait dans ma tête : comment était-ce arrivé ? Maud était drôle, bavassant un peu de tout, admirative de tout, comme si elle venait à Paris pour la première fois. C’était peut être le cas.

 

A la maison, elle ne m’a pas laissé porter sa valise. Pas bien grande, m’a-t-elle fait remarquer, malgré le coté définitif de son voyage.

 

Pourquoi définitif, Maud ? Que voulez-vous dire ? Et me direz vous aussi qui êtes vous réellement et comment avez vous eu connaissance de ma nouvelle ?

 

Je commence par le plus simple. Je suis Maud, celle que vous avez crée. Un écrivain ne doit pas avoir de doutes sur la possibilité de devenir réel d’un de ses personnages. Ça arrive tout le temps bien que les journaux n’en parlent pas. Par peur de ne pas être crus par des gens déformés par leur éducation rationnelle et moutonnière.

Je suis là définitivement. J’ai une petite valise mais nous choisirons ensemble, peu à peu, toute ma garde-robe future. Vous gagnez bien assez d’argent pour me l’offrir.

Enfin, je suis là parce que je vous ai choisi. J’ai décidé de devenir votre femme et de vous faire changer de statut. Mon créateur, ça suffit. On sait, on oublie maintenant. Dès cet instant, vous êtes mon compagnon, mon homme, mon chéri. Vous ne croyez tout de même pas que je vais me contenter de cet idiot de Félix, dont je n’avais pas la moindre intention, malgré vos tentatives, de tomber amoureuse. Voilà tout.

 

Cette fois c’est le robinet tout entier que je devais boire pour me remettre à l’endroit.

 

Mais Maud, même si vous n’êtes pas un mirage. Surtout si vous n’êtes pas un mirage, nous deux ensemble c’est impossible. Je suis marié, j’ai des enfants, une femme jalouse à point ! Non, ma chérie, c’est impossible et je ne me vois pas en bigame !

 

Mon amour, vous m’attristez, comme dirait un de vos personnages un peu fine fleur. Vous êtes un écrivain, un inventeur, un rêveur. Vous savez habiter des mondes différents, nouveaux, inconnus du commun des mortels avant que vous ne les ayez décrits. Eh bien, en voilà un de ceux là. Vous lui donnerez un nom, si vous voulez. Vous êtes bon pour ça. Pour le reste, les rôles sont maintenant inverses. Vous êtes à moi, un point c’est tout. Faites vous –en une raison et n’en parlons plus. Nous avons toute une vie à inventer et à vivre.

 

 

Le coup était rude. J’ai même failli laisser tomber l’eau pour plonger dans le whisky ou le gin. Est-ce que je traitais ainsi mes personnages ? Etaient-ils seulement le résultat de mes caprices, des mes états d’âme du moment, de mes lubies ? J’avais le sentiment, au contraire, d’être un faible, de passer mon temps à me demander comment ils auraient voulu être.

Mais surtout je ne voyais pas de parade disponible. Déchirer ma petite nouvelle à moitié écrite ne servirai certainement à rien. Et la Maud qui était là n’avait pas du tout l’air d’être en papier ni de se laisser faire facilement.

 

Allez mon chéri, habille-toi et n’oublie pas ta carte bancaire, je n’ai pas grand chose à me mettre !

 

Je ne me sentais pas la force de dire non. Et avec quels arguments ? J’avais, c’était le pire, un sentiment mêlé de déjà vu et de fatalité.

En rentrant des courses il faudrait que je regarde à quelle date était la nouvelle lune. Qui sait.

 

©Jorcas

 

25 mai 2009

Au pied des Vosges

 

Je ne sais pas à quel moment il s’est mis à faire nuit, mais en tout cas c’était du sérieux, on ne voyait pas à un mètre.

Heureusement j’avais bien travaillé ce matin puis fini toute ma correspondance avant même que ma tête ne se mette à digresser au point de ne pas s’apercevoir de la disparition de la lumière. Et il ne me restait plus une seule bougie pour adoucir un peu l’obscurité qui m’enveloppait toutes les nuits, depuis que j’avais déménagé dans ce coin de forêt.

 

Ça m’a pris tout d’un coup. J’avais été un matin porter un paquet dans un hameau au pied des Vosges, pas bien loin de Marmoutier, un trou réellement perdu et j’en suis tombé amoureux sans atermoiements. Voilà un endroit idéal pour reprendre la rédaction de mon libre et travailler sans me distraire. Pas de commerce trop près, pas de circuit touristique, juste la nature sauvage, belle et cet ancien abri en grès rouge comme il se doit.

 

La masure c’était un carré sans la moindre prétention avec une petite cheminée dans un des cotés, qui me permettrait de cuisiner un peu et d’affronter l’hiver si je restais ici jusque là. Une fenêtre face à la porte et rien d’autre. Pas un meuble, pas une marque d’anciens habitants, rien.

La pompe qui permettait de tirer l’eau du puits, contre la façade arrière, était impeccable et, à défaut d’autre chose, je ne mourrais pas de soif, à condition d’avoir les muscles du bras en bon état pour l’actionner sans défaillir.

 

Je me suis équipé à minima : Une table achetée chez un brocanteur de la ville, une chaise avec assisse empaillée, un lit de camp et un sac de couchage, un bougeoir, des bougies, plusieurs boites d’allumettes et mon vieux vélo, pour aller au besoin faire les petites courses jusqu’au plus proche village sans me servir de la voiture. Une provision de nourriture de campement : des boites de conserve, des saucisses sèches à accrocher, quelques fruits, des tomates séchées et des biscottes pour ne pas avoir à me soucier du pain.

Je ne pouvais pas tenir un siège, mais j’étais certain d’éviter l’excuse des coupures pour faire des achats pour justifier mon éventuel manque d’inspiration.

 

Ce soir là j’étais mort de fatigue. Pour ne pas perdre la forme, je m’obligeais chaque matin, avant de me mettre à écrire, à faire une petite marche dans les environs, monter et descendre quelques coins abrupts, puis revenir réveillé pour de bon pour me mettre à écrire.

J’avais bien avancé et, à quelques corrections et à une mise en forme de dernière heure près j’avais enfin pu bâtir ce texte qui me résistait depuis si longtemps.

 

J’allais m’allonger dans mon lit lorsqu’on frappa à la porte. Je dois réellement être fatigué pour avoir des hallucinations à cette heure. Je me couche vite. Mais voilà qu’on frappe à nouveau !

J’ai dit : oui ! Automatiquement, résultat d’une éducation rigide et mécanique qui me permettait de parer au plus pressé sans me poser des questions. J’étais d’ailleurs convaincu d’avoir commencé mon rêve avant que de m’enfoncer dans le sac de couchage.

La porte s’ouvrit et à la lumière d’une nuit sombre, c’est à dire, pas grand chose, je découvris une jeune fille qui, avec la même politesse mécanique que moi me demandait si elle pouvait entrer.

 

Bien sûr, bien sûr, entrez. Je suis désolé de ne pas avoir de lumière, mais j’ai fini la dernière bougie hier !

Je ne sais pas si cela lui importait, mais je n’avais pas trouvé autre chose à dire et ne voyais pas trop comment entamer l’analyse de la situation bizarre de cette visite, en pleine nuit, dans mon trou perdu des Vosges.

Pour autant que je puisse en juger dans l’obscurité, elle était bien jolie. Pas du tout le type alsacien, plutôt une brune du sud, élancée, de mon âge.

 

Je crains de m’être perdue et je ne sais pas où passer la nuit. Cela ne vous gênerait pas trop de m’héberger jusqu’à demain matin ?

 

A nouveau l’éducation rigide et mécanique de ma mère qui se manifestait : Non, non, naturellement. Seulement, je ne peux vous offrir que le toit, je manque de lits, de draps et somme toute de tout pour accueillir quelqu’un.

 

Cela n’a pas d’importance, j’ai mon attirail dans le sac à dos et il me reste un sandwich de midi.

 

Pour la suite, je ne vais pas vous ennuyer avec des détails scabreux. D’ailleurs, ils ne le sont que moyennement. Pas question de me vanter d’avoir passé la nuit à faire l’amour avec ma belle visiteuse. Dans l’état de fatigue dans lequel j’étais, ce ne serait pas crédible et le manque de moyens matériels offrant un minimum de confort limitait aussi fortement les possibilités. Encore heureux qu’elle avait le sens de l’initiative, car autrement notre rencontre ne se serait pas beaucoup enrichi.

 

Toutes ces fatigues aidant, j’ai dormi comme un loir, pour sacrifier à l’expression consacrée. J’ai ouvert les yeux alors que la première lumière du jour entrait par ma fenêtre sans rideaux, pour constater que ma belle visiteuse était déjà partie sans un bruit ni un mot.

 

J’ai sauté de mon lit de camp, fait le tour des environs, fouillé toute ma bicoque. Mais qu’aurait-elle pu me voler, je n’avais rien qui puisse mériter le nom de richesse.

Un peu désappointé, j’ai repris mes habitudes régulières : Monter et descendre quelques cailloux vosgiens, aller d’un pas alerte d’un bout à l’autre du pré qui entourait la maison pour bien faire circuler le sang, puis je suis rentré manger quelques biscottes et me mettre au travail.

 

Ma machine à écrire était bien là, mais pas une seule feuille de papier. Ma visiteuse avait embarqué tout mon manuscrit ! Bien plus grave que si elle m’avait détroussé de tout mon humble attirail !

 

Je suis rentré chez moi dans une rage totale. Comment cela avait-il pu m’arriver ? Il me fallait effacer tout cela et récupérer dans ma mémoire tout le travail fait dans mon supposé paradis, si j’en étais capable. Je suis parti pour quelques mois dans le Bush, chez un ami australien, le temps de me remettre la tête sur les épaules.

 

Dès que je suis rentré à Paris, ma première sortie a été pour faire le tour du Quartier Latin. Les cafés, les cinémas, les librairies……et là je suis de suite tombé en arrêt devant le dernier prix littéraire de l’année. Le titre était : « Au pied des Vosges » et c’était signé : « Lui et moi »

Je me suis précipité dans la librairie devant laquelle j’avais fini par retrouver ma respiration et j’ai acheté un exemplaire.

 

Première page : Dédicace : « Mon chéri d’une nuit, je ne t’oublie pas, je pense à toi tout le temps. Mets un mot à mon éditeur avec ton numéro de compte en banque que je puisse partager avec toi ce que nous avons fait en commun. Le mot de passe : décrit l’intérieur de ton palais, que je te reconnaisse sans le moindre doute »

 

Depuis je vis dans un petit village près de Marmoutier dans une belle maison que je me suis offert avec l’argent qui me tombe directement du pied des Vosges.

J’écris beaucoup. Je pose chaque soir mes feuilles bien rangées sur la table de travail de mon bureau et je laisse toutes les nuits la porte ouverte. Sait-on jamais !

 

©Jorcas

23 mai 2009

Bribes (Premier)


Sans doute, sa vie avait eu une continuité. Les faits qui l’avaient marqué étaient des étapes le long d’une suite, mais il ne leur trouvait pas d’enchainement dans ses souvenirs. Sa mémoire n’avait que des flashes, indépendants les uns des autres.

Autour, pour le relier, il était réduit  aux suppositions, peut être simplement aux inventions ou aux rêves. Parfois de vieilles photos de famille l’aidaient à compléter les vides, mais une photo n’a jamais la force d’un souvenir !

Sans doute, pensait-il, à la suite d’un accident quelconque sa tête avait perdu la faculté qu’il constatait chez la plupart des gens, de se rappeler de tout ce qui leur était arrivé avec un tas de détails ; de remonter dans le temps pas à pas avec une foule de petites choses entre des grands moments.

Pas lui.

De lui-même, il ne savait rien de sa toute petite enfance, passée à la campagne dans la ferme que son père exploitait alors, avant de revenir vivre en ville. Mais il était trop jeune, c’était normal, en somme. Par contre, il se souvenait des écoles qu’il avait fréquenté jusqu’à ses onze ans. Trois au total.

Il y avait bien eu une quatrième, mais cela n’avait duré que quelques jours. Il avait fait l’impossible pour que le directeur demande à son père de l’inscrire ailleurs. Son seul souvenir agréable de cette école est celui d’un magnifique néflier dans la cour.

Des trois autres, quelques images seulement, mais elles lui semblaient importantes. Il était certain de les avoir aimé autant qu’il avait détesté celle du néflier.

 

De la première, il lui est resté un amour constant pour la musique de « Casse Noisettes » Ses notes rappelaient aux retardataires qu’il fallait se dépêcher d’être à la porte de la classe avant que l’hymne national sonne, pendant lequel on n’avait pas le droit de bouger.

A l’arrière il y avait un jardin et un potager où il aimait se réfugier. Là, pas de néflier mais beaucoup de canne à sucre, si savoureuse. Et un atelier de menuiserie.  En fait il y avait plusieurs ateliers de travaux manuels, mais son préféré, celui dont il reconnaît encore aujourd’hui l’odeur, était celui de menuiserie.

Dans l’autre cour, une gigantesque carte du pays en ciment occupait tout le centre, avec une mer peuplée de poissons rouges. Mais cette cour était aussi celle de l’infirmerie et surtout du cabinet du dentiste, donc moins fréquentable.

 

Il n’est resté qu’un an dans sa deuxième école. Elle a été celle de son premier amour. Amour de potache, initiation au dévouement, sentir le plaisir de voir un être sans avoir à chercher une raison.

 

Enfin la dernière, qu’il a fréquenté jusqu’à son départ, celle qui avait les moins belles particularités visuelles. Un bâtiment ordinaire avec une grande cour de recréation à l’arrière. Peu d’arbres, surtout pour un climat tropical, mais un apprentissage qui restera une de ses idées fondamentales toute sa vie : l’égalité des personnes quelque soit leur couleur, leur origine, leur croyance.

Le propriétaire et directeur de cette école était un exilé, comme ses parents. Chez lui, à coté des natifs « de souche » se retrouvaient des enfants de personnes qui avaient  fui une guerre, une dictature, une répression : Des juifs de Palestine et de Russie, des arabes de Syrie, des chinois, des espagnols républicains, des italiens fuyant Mussolini, des allemands anti-Hitler, des indiens. C’est bien plus tard qu’il a compris la chance extraordinaire qu’il avait eu de vivre trois ans dans cet Arche de Noé perdue dans le Tropique. Ils étaient tous des enfants du même âge et cette égalité se suffisait à elle même, occupait tout l’espace et ne laissait place à aucune notion de « différence »

© Jorcas


17 mai 2009

Le figuier sur le muret de pierre

 

Il l’a découvert en explorant le jardin abandonné derrière la maison de la grand-mère, en haut de la côte qui grimpe l’arête de lave. Le figuier avait poussé tellement collé à la haie que ses racines en avaient entouré une partie, donnant l’impression de pousser sur la pierre.

Son père avait vécu là toute sa jeuneuse et sans se le dire, c’est à la recherche de quelque chose de lui qu’il visitait les endroits les plus reculés du village voulant voir de près, sentir l’ambiance de tous les lieux où il apprenait qu’il était passé.

Le figuier sur la haie était une de ces empreintes, tout comme le cellier à l’angle de sa rue et de la route du Sud, où il avait appris à fouler des pieds le raisin. Comme lui la première fois, son père s’y était certainement enterré dans la masse jusqu’à la ceinture!

 

Le village était resté un petit village d’agriculteurs, travaillant sur cette terre ingrate et difficile qu’ils avaient su domestiquer en construisant des terrasses pour soutenir les cultures et en allant chercher l’eau par des artifices jusqu’aux endroits impensables où, rare, elle se cachait.

C’était sa première rencontre consciente avec la difficulté de l’existence. Jusqu’alors, trop jeune et immergé dans un cadre différent, il voyait venir naturellement tout ce dont il avait besoin. Les commentaires sur la difficulté de la vie étaient abstraits pour lui.

Bien sûr on parlait à la maison de l’exil, de la misère d’une guerre perdue après laquelle il avait fallu traverser la moitié du monde dans le plus grand dénuement, mais il était né juste après, une fois que ses parents avaient posé leur balluchon. Par chance, un enfant reconstruit le monde avec les matériaux à sa portée, avec ce qu’il est capable de comprendre. Lui n’avait pas souffert de cette indigence qu’il ne connaissait que par les mots.

Là, au village, même si sa famille n’était pas vraiment pauvre, il avait côtoyé pour la première fois cette réalité. Ces paysans étaient tous solidaires et les problèmes des uns étaient les problèmes de tous.

 

Le village s’étendait jusque la mer dans un climat d’une douceur extrême. La lave s’était refroidie en entrant dans la mer, construisant des criques, des barrières, des véritables aquariums naturels parfaits pour la pêche et la recherche de crabes qu’il affectionnait tant.

Il retrouvait une partie de son cadre de vie initial, reconnaissait la nature, la manière de parler, si proche, la musique, les quelques cousins et amis avec lesquels il s’était vite entendu. Il acceptait se cadre et se sentait adopté par lui.

 

Ces courts mois furent les plus heureux de cette première année de sa nouvelle vie.

A nouveau, c’est un avion qui l’arracherait à ce qu’il aimait, qui l’emporterai vers un inconnu en effaçant une fois de plus ses images, son histoire et se repères.

 

©Jorcas

 

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