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Trimardeur
1 juin 2009

Assurance dommages

 

Comme chaque matin Louis sortit de chez lui à l’heure habituelle. Traversa la rue au deuxième passage zèbre, celui à la meilleure visibilité. C’est une précaution qu’il respectait sans la moindre entorse. Marcha de son pas régulier jusqu’à l’arrêt de bus ; il passait deux minutes après. Le bus était aussi ponctuel que lui. Cela lui permettrait d’arriver au bureau, comme d’habitude, dix minutes avant l’heure prévue par le règlement intérieur et son contrat.

Comme chaque matin, il s’installa dans son bureau, alla se servir un café à la machine du couloir et mit en route l’ordinateur pour charger les mails arrivés depuis son départ la veille au soir.

 

Jean, je n’ai pas le temps de te préparer un café, je suis en retard. A ce soir !

 

Vas-y, ma chérie, ne t’en fais pas pour moi.

Son compagnon du moment s’était vite fait à l’idée que toute notion de régularité était impossible avec elle.

Il pensait en même temps que c’était invivable et qu’il ne tarderait pas à trouver une raison pour lui faire comprendre que, malgré son amour pour elle, il retournait dans sa ville, retrouver son petit studio et son calme. Elle s’y ferait rapidement. D’ailleurs, elle l’oublierait comme elle oubliait tout, ses courses, ses clés, la rue où elle avait garé sa voiture, les anniversaires d’amis et parents.

Dolores était une fille admirable, une amante radieuse, mais elle vivait dans un monde en quelque sorte liquide, qui se construisait à chaque instant d’une manière différente. Il n’était pas capable de la suivre dans les sursauts de sa vie. Il valait mieux se séparer doucement sans attendre le clash violent qui ne manquerait pas de se produire un jour entre eux.

 

Louis termina ses huit heures de travail journalier sans souci et sans retard dans ses affaires. Son organisation et sa méthode étaient un exemple souvent cité dans l’entreprise aux nouveaux arrivants. Voilà comment il faut faire pour que le travail soit toujours exécuté au mieux et à la satisfaction des clients et de vos chefs de service !

Il n’en était pas particulièrement fier. C’était en lui une seconde nature et de ce fait, il ne voyait pas de mérite à cela. Il était ainsi, voilà tout.

A six heures précises il quittait son bureau et allait passer deux heures avec sa fiancée. Son mariage, préparé par les parents des deux futurs époux aurait lieu dans quelques mois et le temps qui restait jusqu’à cette date était bon à mettre à profit pour parler ensemble de toutes choses et se mieux connaître. Cela ne pourrait que les aider dans leur future vie de couple.

 

Dolores posa les paquets des courses sur la table de la cuisine avec les clés de la maison et de la voiture. Il faudrait qu’elle pense tout à l’heure, en rangeant tout dans le réfrigérateur, à les mettre dans son sac pour ne pas avoir à les chercher demain matin.

Elle prit le courrier que son compagnon avait posé sur le petit guéridon du couloir

La première enveloppe portait son nom : Dolores, mais n’avait pas de timbre.

Elle lut la lettre deux fois. Une première rapidement, surprise, un peu incrédule. Une deuxième calmement, s’attardant dans chaque mot, dans chaque argument.

Résumé en clair : il la larguait parce qu’il l’aimait mais elle était insupportable. Elle ne sentait rien de particulier. Et rien de nouveaux. Depuis le temps qu’il lui faisait des reproches pour tout et n’importe quoi, les rapports sexuels exclus, elle s’y attendait plus ou moins. D’ailleurs elle avait eu plusieurs fois l’intention de faire une mise au point claire, mais avec le boulot, les courses, les factures, elle avait oublié chaque fois de lui en parler.

 

Au diable. Il fallait qu’elle s’occupe un peu plus d’elle. Et de l’assurance de la maison. La précédente avait été résiliée parce qu’elle avait oublié de payer même après deux relances qu’elle avait rangées quelque part. Puis elle n’a plus fait attention jusqu’à réception de l’avis de résiliation. Trop tard, il fallait aller ailleurs, ce n’est pas les compagnies d’assurances ni les courtiers qui manquaient.

A coin de sa rue il y avait un très gros. Elle irait le lendemain.

 

Louis, comme d’habitude, avait rapidement pris connaissance de ses mails en arrivant. Il préparait pour sa secrétaire quelques lettres à écrire et des instructions pour les experts de sa zone. Il lui dicterait dès qu’elle lui apporterait le courrier arrivé, avant que les clients qui venaient directement ne commencent à se manifester.

Sa secrétaire lui remit le courrier et lui annonça qu’une jeune femme, qui n’avait pas rendez-vous, voulait voir un courtier ou un responsable pour une assurance domestique.

 

Demandez-lui d’attendre quelques minutes, le temps que je vérifie si quelque chose d’urgent arrive dans le courrier et j’irai la chercher.

 

Dolores exposait la raison de sa présence à un Louis qui ne la quittait pas des yeux, qui la regardait comme on regarde une lumière forte et inattendue. Heureusement le problème était simple à résoudre.

Vérification faite, j’ai reparti ce matin le travail à faire et je n’ai personne de disponible pour établir sur place le document avec les caractéristiques de votre appartement et l’assurer de suite. Pour ne pas retarder la prise en charge par l’assurance, je peux aller avec vous, si vous le voulez, faire l’état de lieux avec lequel on peut faire partir de suite la couverture.

Dolores dit oui, elle avait simplement besoin de passer un coup de fil à son travail pour annoncer qu’elle n’irait pas aujourd’hui. Son patron était en déplacement et cela n’aurait pas de conséquences qu’elle prenne un jour de RTT.

 

Louis commença de suite à établir le document avec le détail des chambres et les caractéristiques générales de l’appartement à assurer.

Excusez-moi, lui dit Dolores, votre nœud de cravate est tordu et cela ne va pas bien avec votre tenue. Vous permettez ? Avant qu’il eu pu répondre elle lui remit en état, passant ses doigts entre le cou et le col de la chemise pour le redresser.

Voilà qui est mieux. Mais à mon avis, vous seriez encore mieux sans cravate. Vous avez un joli cou escamoté par le col. Vous ne voulez pas l’enlever ?

 

Il hésita quelques secondes puis enleva la cravate avec un air des plus sérieux. Vous aimez mieux ainsi ? Elle lui dit oui sans arrêter de rire. Il ne savait pas si elle était vraiment contente ou si elle se moquait de lui.

Dans son souvenir, il se voyait disant à Dolores qu’il l’aiderait à rédiger la lettre à envoyer en recommandée à la compagnie pour être certaine d’être assurée dès la date du cachet de la poste. Dans l’image suivante, dans une tenue fort peu professionnelle il se voyait assis sur une chaise de la cuisine, Dolores à califourchon sur lui le couvrait de baisers sur les lèvres, les yeux, le front, faisait tomber sur lui une pluie d’étoiles directement sortie d’un tableau de Klimt pendant qu’explosaient l’un après l’autre les petits cercles fermés, cohérents mais misérables de sa vie précédente, son mariage arrangé, sa fiancée, sa mère, sa vie réglée avec précision et étroitesse pour laisser la place à des cieux bleus, sans points de repères fixes mais sans limites.

 

©Jorcas

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