Le figuier sur le muret de pierre
Il
l’a découvert en explorant le jardin abandonné derrière la maison de la
grand-mère, en haut de la côte qui grimpe l’arête de lave. Le figuier avait
poussé tellement collé à la haie que ses racines en avaient entouré une partie,
donnant l’impression de pousser sur la pierre.
Son
père avait vécu là toute sa jeuneuse et sans se le dire, c’est à la recherche de
quelque chose de lui qu’il visitait les endroits les plus reculés du village voulant
voir de près, sentir l’ambiance de tous les lieux où il apprenait qu’il était
passé.
Le
figuier sur la haie était une de ces empreintes, tout comme le cellier à l’angle
de sa rue et de la route du Sud, où il avait appris à fouler des pieds le raisin.
Comme lui la première fois, son père s’y était certainement enterré dans la
masse jusqu’à la ceinture!
Le
village était resté un petit village d’agriculteurs, travaillant sur cette
terre ingrate et difficile qu’ils avaient su domestiquer en construisant des terrasses
pour soutenir les cultures et en allant chercher l’eau par des artifices jusqu’aux
endroits impensables où, rare, elle se cachait.
C’était
sa première rencontre consciente avec la difficulté de l’existence. Jusqu’alors,
trop jeune et immergé dans un cadre différent, il voyait venir naturellement
tout ce dont il avait besoin. Les commentaires sur la difficulté de la vie
étaient abstraits pour lui.
Bien
sûr on parlait à la maison de l’exil, de la misère d’une guerre perdue après
laquelle il avait fallu traverser la moitié du monde dans le plus grand dénuement,
mais il était né juste après, une fois que ses parents avaient posé leur
balluchon. Par chance, un enfant reconstruit le monde avec les matériaux à sa
portée, avec ce qu’il est capable de comprendre. Lui n’avait pas souffert de
cette indigence qu’il ne connaissait que par les mots.
Là,
au village, même si sa famille n’était pas vraiment pauvre, il avait côtoyé
pour la première fois cette réalité. Ces paysans étaient tous solidaires et les
problèmes des uns étaient les problèmes de tous.
Le
village s’étendait jusque la mer dans un climat d’une douceur extrême. La lave s’était
refroidie en entrant dans la mer, construisant des criques, des barrières, des
véritables aquariums naturels parfaits pour la pêche et la recherche de crabes
qu’il affectionnait tant.
Il
retrouvait une partie de son cadre de vie initial, reconnaissait la nature, la
manière de parler, si proche, la musique, les quelques cousins et amis avec
lesquels il s’était vite entendu. Il acceptait se cadre et se sentait adopté
par lui.
Ces
courts mois furent les plus heureux de cette première année de sa nouvelle vie.
A
nouveau, c’est un avion qui l’arracherait à ce qu’il aimait, qui l’emporterai
vers un inconnu en effaçant une fois de plus ses images, son histoire et se
repères.
©Jorcas