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Trimardeur
19 juin 2009

Le songe d’une ombre

 

La bâtisse de l’hôtel se trouvait à l’orée du village, sur un petit promontoire qui dominait la vallée et qui permettait une belle vue sur l’ensemble.

J’avais pas mal trainé dans la vieille ville, fort jolie et bien entretenue et beaucoup rodé autour du campanile de l’église la plus ancienne, où j’avais découvert une plaque commémorative de l’octroi du privilège de Ville par la couronne d’Aragon. J’avais perdu de vue que cette région avait fait partie des possessions qui avaient étendu un temps le royaume d’Aragon vers le sud de la France et l’Italie.

 

J’ai été tenté de diner sur place, mais après avoir tant marché, c’était plus sage de manger à l’hôtel. Trop fatigué pour avoir encore à trainer après le repas.

Le restaurant de l’hôtel était d’ailleurs bon, avec une salle s’abritant derrière une large baie vitrée qui permettait de prolonger la vue sur la ville, en particulier sur le campanile au flanc duquel j’avais découvert l’inscription aragonaise.

Repas léger, malgré les spécialités locales et un petit vin qui trompait son monde, avec une apparence innocente tout à fait mensongère ! J’allais certainement bien dormir cette nuit !

 

La chambre donnait aussi sur la vallée et sur le campanile. Il y avait un point de repère en ville et tout était fait pour qu’on ne l’oublie pas.

Un grand lit pour moi tout seul, des rideaux tirés pour ne pas être tenté de contempler le campanile sous la lumière de la lune, enfin le repos !

 

La première sensation a été curieuse. J’avais l’impression d’être rentré chez moi et je sentais que ma femme avait du mal à dormir et tournait sans cesse dans le lit. J’ai étiré mon bras pour lui caresser la tête et la calmer dans son mauvais sommeil et j’ai trouvé le deuxième oreiller, mais aucun corps.

Je me suis réveillé pour de bon, allumé la lumière pour constater l’évidence : J’étais seul, dans mon petit hôtel du sud de l’Auvergne et il n’y avait personne dans ma chambre. Il faisait sombre dehors, nuit sans bruit. C’était peut être un rêve, conséquence du petit vin traitre.

J’ai éteint la lumière et plongé à nouveau dans un sommeil qui m’était d’autant plus nécessaire que la coupure était idiote.

 

Le sommier ne crissait pas, mais le matelas bougeait encore une fois, comme si un deuxième corps modifiait par son poids son équilibre. J’ai allumé la lampe à nouveau, brusquement, sans perdre du temps à passer ma main sur le reste du lit que je savais vide : rien. Bien entendu, rien !

Je me suis levé, fait le tour de la chambre, ouvert l’armoire, regardé sous le lit, ouvert et fermé les rideaux tout en me disant que j’étais stupide et qu’à l’évidence il n’y avait personne dans ma chambre. Pas de chat égaré non plus. Ce n’était que ma tête qui me jouait des tours, tarabustée par mon estomac, certainement. Le diner était peut être moins digeste que je ne l’avais cru avec mon enthousiasme pour goûter des spécialités du pays.

 

J’ai éteint rageusement. J’ai parfaitement perçu, derrière mon dos, comme un soupir. J’ai cru aussi entendre qu’une voix faible mais intelligible disait : Enfin !

Je me suis retourné lentement et, sans allumer la lumière, j’ai tendu brusquement mes deux bras et enserré….le vide !

Et cette fois la voix était claire : Ecouté ! Ça suffit, dors une bonne fois pour toutes, moi je suis fatiguée !

 

Mais qui est tu ? Que fais tu dans mon lit ? Comment se fait-il que je peux sentir ta présence, t’entendre maintenant et je ne peux pas te voir ni te toucher ?

 

Ce n’est pas bien compliqué, pourtant ! Je suis ton ombre et après la journée que tu m’as fait passer, toujours à courir de monument en monument, à tourner autour des églises sous un soleil de plomb, je suis crevée. J’ai besoin de repos, d’autant plus que je ne peux pas m’échapper dès qu’il fait jour ou dès que tu allumes une lumière. Je suis obligé de me mettre à tes pieds des que la moindre lueur s’annonce, alors, s’il te plait, dors et laisse moi récupérer !

 

Je n’ai pas osé répondre. Pour lui dire quoi ? C’était bien naturel ce besoin de calme, seulement, je ne savais pas. J’avais bien conscience d’avoir mal aux pieds si je marchais trop, d’avoir mal au dos si je restais longtemps mal assis, mais d’une part, ni mes pieds ni mon dos ne m’adressaient la parole et je prenais mon ombre pour un effet de lumière qui ne me concernait qu’indirectement. J’allais essayer de dormir un peu. La surprise passée, elle ne bougeait pas plus que n’importe quelle autre compagne. On en parlera demain.

 

Le lendemain, un court diner expédié sans longueurs, je me suis installé dans le lit après avoir tiré les rideaux et éteint les lumières et je l’ai appelé : Tu es toujours là ? Maintenant qu’aucune clarté ne te force à me suivre pouvons nous parler un peu ? J’aimerais mieux te connaître.

 

Il n’y a pas grand chose à dire de moi que tu ne saches pas. Il te suffit de regarder en toi même pour me comprendre car être ton ombre n’est rien d’autre qu’être un peu de toi un peu détaché de ton corps. Ma vie d’ombre consiste à t’amplifier face à toute lumière. Seulement avec l’âge, tes mouvements incessants me fatiguent et je me traine derrière toi lamentablement lorsque tu t’accordes une journée de visites de monuments sous le soleil. Encore, lorsque c’est un musée, la lumière est toujours tenue, je n’ai pas besoin d’être dense, mais tes églises, tes cathédrales et tes campaniles en plein soleil m’usent. Je n’ai plus vingt ans, tu devrais le savoir !

Tu as bien entendu dire de quelqu’un qu’il n’est plus l’ombre de lui-même ? C’est parce que nous vieillissons plus rapidement que vous à force d’être mis à contribution dès la moindre lueur.

Lorsque tu travailles à ton bureau, avec cette lampe à forte puissance que tu as mis derrière toi depuis que tes yeux voient moins bien, je suis toute étalée sur ta table, comme tourneboulée.

Alors, bien sûr, toi et tes sauts d’humour permanents, tu te lèves, tu changes de position, tu passes à autre chose, ce n’est pas étonnant que tu sois, comme on dit, plus rapide que ton ombre !

 

J’étais tout contrit, coupable comme je l’étais à l’évidence, sans jamais l’avoir su, d’un si mauvais traitement à ma compagne la plus ancienne. J’ai caressé doucement l’oreiller sur lequel j’ai supposé qu’elle se détendait, car dans l’obscurité totale je ne pouvais plus l’apercevoir et j’ai fait mentalement la liste des dispositions que je prendrais dès le lendemain pour lui rendre la vie plus douce.

Je n’allais pas changer mon goût pour les monuments historiques, mais je ne ferai plus de visites en plein soleil. Ou alors, en marchant seulement dans les parties ombragées, sans soleil direct.

J’allais changer toutes les lumières de la maison, en particulier dans mon bureau, où je passais le plus clair du temps, et les remplacer par des lampes au plafond, qui projetteraient la lumière sur moi et lui permettraient de se reposer sur mon corps, toute recroquevillée sur moi.

Il faudrait dorénavant que je fasse attention à ne pas l’éclipser, à la maintenir dans un doux clair-obscur pour lui adoucir sa condition qui l’obligeait à vivre à l’ombre de moi-même. Il ne fallait pas qu’elle prenne peur d’elle-même et pour l’endormir, chaque soir je lui réciterai du Baudelaire : Ombres folles, courez au bout de vos désirs !

Ah, qu’elle sera douce ainsi, accrochée à mon cou !

©Jorcas

 

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