Premier voyage
Il
n’avait peur de rien. Souvent, à son âge, les enfants n’ont peur de rien. Alors
que son accompagnatrice tremblait à l’idée que ce machin aux grandes hélices
tente de quitter la piste. L’avantage c’est que dopée et concentrée sur sa peur
elle ne faisait pas attention à lui, lui laissait faire ce qu’il voulait sans
le rabrouer.
Ça
et une hôtesse compréhensive lui ont permis de visiter l’avion en détail,
cabine de pilotage comprise.
L’avion
faisait des sauts de puce. A cette époque, il fallait raccourcir autant que
possible les parcours et la traversée de l’Atlantique se faisait au lieu le
plus étroit de la route. Mais pour lui les étapes dans les iles justifiaient le
voyage.
Première
escale, dans un de ces merveilleux aéroports au trafic infime, constitués en
tout et pour tout d’une baraque ouverte de tous cotés et, celle-là en
particulier, près de la mer.
La
mer, il a été la voir comme chaque fois qu’il arrivait, le vendredi ou le
premier jour des vacances, à « sa » plage. Lui dire bonjour, sentir
son odeur, lui faire savoir qu’il était arrivé et que demain, à l’aube, s’il
était encore là, il viendrait parler avec les crabes de sable.
C’était
trop tôt pour une nostalgie. Et il était trop jeune pour mettre un nom sur ce
qu’il ressentait. La nostalgie il pouvait déjà la vivre, il ne pouvait pas
encore la nommer. S’il avait été plus vieux, il aurait su que c’était une
alerte, une première arrivée impromptu de ces images qu’il ne verrait plus et
qui pourtant ne le quitteraient jamais.
Sa
plage à lui était un coin sauvage où son père avait plantée une tente contre un
arbre à même le sable. Quelques mètres plus loin, le « restaurant »
était un hangar ouvert sauf la cuisine, fermée par des briques percées. La
chaleur tropicale exigeait de la ventilation. Et comme à l’époque c’était un
luxe, on faisait en sorte d’avoir des courants d’air.
Le
paradis allait un peu plus loin, en ayant comme centre la tente et le
restaurant. Paradis de sable et d’eau, de cocotiers et plantes grasses sauvages
et, surtout, de raisiniers. Il y en avait deux dans son paradis, un de chaque
coté du restaurant. Mais le « sien » était celui près de la cuisine,
planté sur une petite terrasse. C’était son refuge.
Sa
plage, sa boite à billes, ses premiers
livres d’aventures, sa collection de photos d’avions, le parc face à la maison
et l’ambiance des tropiques, c’était tout son monde, rapetissé au décollage de
l’avion et peu à peu disparu pour un temps si long, pour une si longue solitude
qu’il ne resterait que la blessure de l’arrachement, même lorsque bien plus
tard il reviendrait, lorsqu’il découvrirait les changements qui, pendant son
absence l’avaient définitivement transfiguré.
©Jorcas